1- La toute première fois
Le soleil au zénith dardait la foule de ses rayons.
Tout le monde s’entassait dans les rues pour ce jour de fête dans le continent de Cantha. Un grand défilé était prévu en l’honneur de l’Empereur et de ses invités venant de Kryte.
Même sous les tentures installées pour l’occasion, la chaleur était caniculaire et pas une seule brise ne rafraichissait le fond de l’air.
La sueur lui coulait dans le dos et sa robe en velours n’arrangeait rien. Elle trônait aux côtés du jeune fils du Ministre et cette fournaise la mettait dans un état second. Le jeune Kisu lui parlait, ses lèvres bougeaient, mais elle ne captait aucun son. Son regard perdu dans le vide, ses pensées vagabondaient sans aucune cohérence. La peur, la douleur, la haine et la colère se confondaient dans son esprit ; cette confusion lui faisait peu à peu perdre pied.
Elle hochait la tête espérant que le jeune Canthien ne s’aperçoive de rien.
Il ne savait rien, pensa t elle. Mais que pourrait-il faire ? Que pourrait faire un adolescent face à son père ?
Elle vivait un enfer depuis maintenant près de 2 ans, et ca ne pouvait pas continuer.
Des larmes lui montèrent aux yeux et sa gorge se noua. Elle rassembla le reste de volonté qu’elle possédait pour ne pas éclater en sanglots.
« Dites, chère Amie, voulez vous que je demande des rafraîchissements ?
- Oui, répondit-elle le regard dans le vague, oui. »
Le jeune garçon se tourna vers un homme aux traits typiques des habitants de l’immense cité de Kaineng et lui ordonna d’aller chercher des verres et une carafe de jus de Billith.
Son dos était trempé et le velours lui collait maintenant à la peau. Le contact du tissu devenait insupportable et commençait à l’agacer, la sortant de sa torpeur. Elle se sentait mal. Ses mains tremblaient, sa peau était moite et son cœur battait la chamade.
Elle fixait le sol en repensant à sa décision. Elle était à la fois terrorisée et pressée d’agir.
Y arriverait-elle au moment décisif ?
Aurait-elle la force de mener au bout le plan qu’elle avait mis si longtemps à élaborer ?
La panique montait. Elle inspira profondément, essayant de calmer ses nerfs.
Soudain, elle sursauta quand Kisu lui tendit le verre de jus de fruit frais. Elle était vraiment à fleur de peau.
Elle lui sourit et saisit le verre en le remerciant. Il lui rendit son sourire. Il était l’opposé de son père. Doux, attentionné, elle appréciait sa compagnie, mais n’avait pas approuvé que ses parents décident de son avenir sans la consulter.
Depuis quelques semaines, elle avait atteint l’âge du mariage dans la société Canthienne. Son père, ambassadeur de Kryte à Cantha, voulait renforcer ses appuis au sein de la famille régnante. Pour cela, il n’avait pas hésité à donner sa fille.
En y repensant, elle fut prise d’un violent frisson et de nausées.
« Vous allez bien ? Vous n’êtes pas malade ? Voulez vous que je fasse appel à notre médecin ?
- Non, ce n’est rien. La chaleur est assez difficile à supporter, mais le jus de fruit va me faire du bien.
- N’hésitez pas à me demander ce que vous souhaitez. »
Oui, oui, tu veux vraiment savoir ce que je veux ?… Non, je ne le crois pas.
Elle attendrait cette nuit et tout se jouerait, sa vengeance, son avenir, sa vie.
Elle attendait dans son lit.
Tout le Domaine du Ministre devait dormir car la nuit était tombée depuis un moment.
Elle se leva sans bruit, se glissa dans les vêtements de lin qu’elle avait obtenu d’une servante du palais. Ces habits étaient peu confortables, mais elle s’en moquait. Elle se dirigea vers la cheminée, s’introduit dans l’âtre et saisit la dague canthienne dissimilée dans le conduit.
La tenant fermement, elle s’approcha de la porte et tendit l’oreille. Pas un seul bruit ne troublait la quiétude de la nuit.
Elle l’ouvrit et se dirigea vers la chambre. Elle entra.
Les voyant profondément endormis, elle fut prise de tremblements et manqua de lâcher l’arme. Elle avait profité de leurs habitudes pour les droguer ; ils ne se réveilleraient pas.
Elle s’approcha d’elle. Quelle ironie, cette femme lui avait donné la vie, mais elle n’avait rien fait, rien dit pour la sortir de cet enfer.
D’un geste mal assuré, elle posa la lame affutée sur le cou de sa mère.
Elle commença à douter de son plan, du châtiment qu’elle avait choisi. Mère, pourquoi n’avez-vous pas agi ? Pourquoi ne m’avez pas sorti des griffes de ces gens ? L’attitude de cette femme lui revint en mémoire, sa façon d’éviter son regard, de trouver le moment adéquat pour prendre congé et la laisser sans défense. Ces souvenirs l’assaillirent et ceci l’exhorta à agir le temps de faire glisser la lame sur la gorge de cette étrangère.
Le sang jaillit. Elle recula d’un pas, horrifiée par son geste. Qu’avait-elle fait ?
Trop tard, la vie de sa mère s’écoulait le long des draps et s’étalait peu à peu sur le sol lambrissé.
Elle fit le tour du lit et plongea la dague dans le cœur de l’homme sans hésitation. Pour lui, aucunes excuses, aucuns remords.
Il fallait qu’elle se presse car le principal coupable n’avait pas été châtié.
Elle suivit le chemin qu’Il lui avait fait emprunter tant de fois. Elle le connaissait trop bien.
Elle serra les dents pour éviter de vomir, repensant à ce qu’elle venait de faire. La tête lui tournait. Elle ne savait plus si c’était un mauvais rêve ou la terrible réalité.
Elle reprit ses esprits devant la porte du passage dérobé. Elle pénétra dans la pièce et le vit endormi. Ce lieu lui rappela d’abominables souvenirs. Elle fut prise de vertiges et de sueurs froides.
Non, elle ne faiblirait pas !
Tout doucement, elle s'avança. Le sang battait ses tempes et son cœur s’emballa à tout rompre. Elle fut à nouveau prise de tremblements ce qui la stoppa dans son élan. Un maelstrom de terreur et de haine l’emporta et elle manqua de s’effondrer.
Il fallait se ressaisir.
Elle reprit sa progression, mais le parquet grinça sous l’un de ses pas. Elle s’immobilisa.
Surpris, l’homme se redressa.
« Qui est-ce ? Qui va là ? » , dit-il la voix encore rauque. Le temps que ses yeux s’habituent à la pénombre, il était réveillé. Elle n’osait plus bouger.
« Ah, c’est toi petite. C’est fini. Ton père et moi avons conclu un arrangement. Nous allons bientôt célébrer tes noces avec mon fils ». Son sourire carnassier la tétanisa d’effroi.
« Tu restes dans la famille. Tout ira bien »
Elle plaqua son bras le long du corps pour qu’il ne puisse pas découvrir l’arme qu'elle tenait, et fit quelques pas vers lui.
« Allez viens si tu veux, ce sera notre dernière nuit.
- Oui, ce sera votre dernière nuit », répondit-elle.
Elle se jeta en avant, brandissant la dague. Avec toute la force de son poids, elle planta le poignard dans la poitrine du Ministre, mais la lame fut déviée par l’une de ses côtes.
Blessé sérieusement, il la regarda abasourdi.
Elle comprit qu’il ne mourrait pas cette nuit.
Elle se tourna et courut à perdre haleine alors que le Ministre essayait d’hurler. Elle descendit les escaliers quatre à quatre manquant de chuter et se précipita vers la porte sud. Par chance, beaucoup de gardes avaient profité de cette nuit de libations et n’étaient pas à leur poste.
Arrivée à la porte, les deux sentinelles l’arrêtèrent.
« Il est bien tard pour sortir Damoiselle. »
Sans hésitation, elle planta la dague dans l’entre jambe du premier garde. Le second, stupéfait et encore éméché tenta de sortir son arme, mais elle fut plus rapide.
Elle se hâta d’ouvrir la porte et s’enfonça dans une nuit sans lune.
La traque ne faisait que débuter.
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