La nuit tombait sur le port de Yanyss.
L’été était particulièrement chaud cette année et Tim n’arrêtait pas de s’en plaindre. Après une longue journée de labeur passée à décharger la « Sirène », il était pressé de rejoindre Maywick à l’auberge du port.
Depuis plusieurs jours, un vieillard racontait ses histoires et chaque soir, de plus en plus de badauds venaient l’écouter. Quand le vieux Jon parlait, Tim avait l’impression de voyager, d’apercevoir les ports immenses de l’Archipel du Val où des marchands descendant de nefs de métal vendaient des objets incroyables, de sentir les épices de l’île Bleue dirigée par le Clan d’Azur ou d’entendre, dans les terres arides, les clameurs d’un béhémot chargeant les chasseurs du Clan Wayland.
Demestros… De grands océans constellés d’archipels. Les marins parlent de continents vers l’Est ou e Sud Est, mais Tim n’était jamais allé aussi loin.
Dans la majorité des cas, comme Tim, les Demestriens devenaient marins ou dockers, voire marchands s’ils avaient un peu d’argent. Les plus fortunés pouvaient espérer devenir « Homme-nef », capitaine de leur propre vaisseau, mais seuls les membres de la Haute Noblesse des Clans héritaient des terres : les « Hommes-terre », détenteurs de la plus grande richesse de Demestros.
Tim attendait près de la rue du Lavoir, maugréant sur le retard de son ami. La nuit avançait et le vieux ne les attendrait pas. Soudain, Maywick surgit en courant d’une ruelle.
« Tim, allons-y ! », s’écria t il. « Je suis désolé pour le retard, mais le cap’taine m’a pris la tête ! Le bosco n’était pas rentré et il avait besoin de quelqu’un pour vérifier ces satanées amarres.
- Dépêche-toi ! Nous avons raté une bonne partie de son récit ! », lui cria Tim.
Tim et Maywick entrèrent dans l’auberge noire de monde. Ils jouèrent des coudes pour s’approcher du vieux Jon, assis près de l’âtre. Les deux jeunes garçons réussirent à s’installer à quelques mètres de lui.
« … Demestros compte trois principaux archipels sur sa moitié septentrionale. Comme dans le Sud, les Clans contrôlent les archipels et peuvent compter jusqu’à quatre familles.
L’un des Clans les plus connus du Nord est le Clan du Val, maître de la deuxième plus grande île de Demestros. On trouve quatre familles en son sein, dont les Sombreval.
Tout le monde se souvient de l’empreinte qu’a laissée ce Clan dans l’Histoire de ce monde. »
Alors qu’il observait son auditoire, les yeux du vieux pétillait de malice. Tim ne put s’empêcher d’avoir froid dans le dos. Il aurait payé très cher pour connaître le secret de cet étrange individu.
Ce vieux, arrivé maintenant depuis moins d’une semaine subjuguait tous les marins du coin, les marchands de passage ou les nobles du Clan Vestrit.
« Jadis, Demestros vit l’apparition du Roi Nécromant. Le Clan du Val fut le premier à lancer ses hommes contre le « Cauchemar Noir ». Très vite, le combat devint inégal et les autres Clans n’osaient pas se lancer dans ce conflit. L’avenir de Demestros semblait scellé.
Mais un homme, Dworik Sombreval, fin tacticien et grand diplomate réussit à unir les Clans et convainquit les autres mestres de contrer le « Cauchemar Noir ». C’est ainsi que l’une des plus grande menace de ce monde fut vaincue et que le « Conseil des Clans » fut constitué sous l’impulsion de Dworik Sombreval. »
Un homme se leva. « Vieux Jon, qu’est devenu le Roi Noir ? », demanda-t-il. D’autres voix se levèrent : « Oui, qu’est ce qu’il est devenu le bougre ?
- Le Roi Nécromant disparut ; nul ne sait ce qu’il est advenu de lui, si ce n’est qu’il emporta de nombreux valeureux guerriers avec lui. »
Une jeune marchande se leva à son tour. « Les sept Clans faisaient ils parti du Conseil des Clans ? Ou était il limité aux Clans majeurs ? »
Le vieillard sourit. « Le Conseil des Clans était composé et est toujours composé des sept Clans de Demestros, qu’ils soient mineurs ou majeurs. Grâce à cette autorité, Demestros gagna une stabilité qu’il n’avait jamais connu auparavant. Et cela, nous le devons à un Sombreval. »
« Mais ces Sombreval ne sont ils pas des gardiens ou quelque chose comme ca ?
- Les Sombreval ont certainement sauvé l’avenir de Demestros et pour cela, ils sont les gardiens de la mémoire. Pour ne pas oublier que le Mal rôde toujours, prêt à frapper. Pour nous rappeler que le danger n’a jamais disparu. »
Jon se passa la main dans les quelques cheveux qu’il lui restait, geste assez surprenant pour un vieillard aussi dégarni.
« Mais le Nord compte d’autres archipels.
L’archipel du Crépuscule, où le soleil ne se montre jamais est un pays au climat rude et aux terres plutôt stériles. Certains prétendent que le cœur du Clan du Crépuscule est aussi sombre que la lumière sur ces îles. La famille Blackhorn, mestre du Clan n’a jamais été vraiment fiable au sein du Conseil des Clans. "Parole du crépuscule, parjure à l’aurore" est un proverbe communément partagé.
L’archipel bleu est une terre au climat chaud agréable à vivre, mais le manque de surfaces arables oblige le Clan d’Azur à importer beaucoup de denrées alimentaires, le rendant dépendant ; seules les épices rares et utiles à certaines magies leur permettent de s’approvisionner. A force de consommer leurs épices, générations après générations, la peau des habitants ont pris une coloration bleue typique qui a donné le nom à leur Clan. La famille Cyan est la plus taciturne et étrange de l’archipel.
Ce sera tout pour ce soir, braves gens ». Un brouhaha mécontent s’éleva, mais l’aubergiste les fit taire immédiatement.
La soirée touchait à sa fin et le vieux Jon se leva, rassembla ses affaires et se dirigea vers la porte de l’auberge. Le tenancier s’approcha de lui : « Vieux Jon, reste, je te garde une chambre.
- Non merci, mon brave aubergiste. Je rentre chez moi, mais je reviendrai vous conter d’autres récits.
- Encore merci, le vieux ! », s’écria un jeune matelot, « nous espérons te revoir bientôt. »
Le vieux Jon quitta l’auberge. Tim sortit derrière lui. La nuit était claire en ce mois d’été et les embruns venant du port rafraîchissaient l’air.
Il suivit le vieillard se posant de nombreuses questions, quand, tout à coup un halo autour du vieil homme apparut.
Peu à peu, la silhouette disparaissait pour laisser place à celle d’une jeune femme brune. Surpris, Tim s’approcha et la jeune femme se tourna. Tim se souviendra longtemps de ces yeux noisette qui sondèrent son âme.
Il prit peur et s’enfuit vers la « Sirène », en se jurant de ne plus jamais écouter les histoires d’un vieillard étrange.
Moraine Damodred
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